Alimentation ultra-transformée : La grande tromperie
Le 01/10/2024
Notre alimentation est de plus en plus industrielle, ultra-transformée, et de moins en moins naturelle et savoureuse, au détriment de notre santé et de celle de la planète. Mais on peut agir.
Marie-Pierre Chavel.
À table ! Trois fois par jour, nous revoici devant notre assiette à essayer de joindre l’utile à l’agréable. Soit apporter à l’organisme l’énergie et les micronutriments indispensables à son bon fonctionnement en consommant des mets qui sauront nous régaler. Après la faim à satisfaire, "le plaisir des sens" n’est-il pas ce que nous recherchons quasiment tous ? Selon une étude*, pour 29 % des Français, c’est LA définition du bien manger. Alors que pour 6 % seulement, une bonne alimentation doit avant tout "renforcer le corps et aider à être en forme", et pour 13 %, elle ne doit pas "porter atteinte à la santé". La vue, l’odorat, et même, le toucher et l’ouïe permettent, avec nos papilles gustatives, d’apprécier ce que l’on porte en bouche. Mais s’il est admis que tous les goûts sont dans la nature, qu’en est-il réellement de celui de notre alimentation ? Est-il authentique ou artificiel, à l’image des produits ultratransformés qui abondent dans la plupart des commerces alimentaires ?
Vous aimez la chimie ?
Le goût, c’est le sens de la gustation avec lequel, grâce aux bourgeons gustatifs de la cavité buccale (langue, palais, etc.), nous identifions le salé, le sucré, l’acide, l’amer et l’umami**. Or, le goût des aliments tel qu’on l’entend communément (autrement dit la "flaveur") est une notion plus complète. "C’est la combinaison de la gustation, de la rétro-olfaction, c’est-à-dire les arômes, et des sensations trigéminales", explique Kelly Frank, ingénieure en science des aliments. Ces dernières sont liées au trijumeau, un nerf à trois branches reliant la bouche, le nez et les yeux au cerveau. "Il permet de percevoir le piquant du poivre, l’astringent du vin, le chaud du gingembre…", reprend la scientifique, qui défend le "vrai" goût, celui des produits qui ne recourent pas à la chimie, via des ingrédients ultratransformés, et qui racontent un savoir-faire de fabrication, un terroir. Pas si courant sur nos tables ! En France, 36 % des calories ingérées par les adultes et 46 % de celles avalées par les enfants proviennent d’aliments ultratransformés : plats tout prêts, pains industriels, charcuteries, yaourts aromatisés, boissons sucrées, biscuits, etc. qui contiennent généralement de nombreux ingrédients eux-mêmes ultratransformés, des substances industrielles de synthèse ou ultrapurifiées. C’est plus de la chimie comestible que de la cuisine. Ces substances donnent du goût, de la tenue, de la couleur mais sont sans intérêt nutritionnel parce que dépourvues de matrice alimentaire protectrice (voir ci-dessous). "Tout ça pour faire croire que c’est bon, ça relève de la tromperie", s’insurge Denis Lairon, nutritionniste, directeur de recherche émérite à l’Inserm, auteur de Manger sain et durable, (Éd. Quae). Pour Kelly Frank, aimer les produits ultra-transformés, c’est "aimer le goût de la chimie". Pourquoi pas… si ce n’était qu’une histoire de palais !
Bernard Lignon, Synabio
La bio en marche
50 % des produits emballés des magasins spécialisés bio sont ultratransformés. C’est 70 % en GMS. Le règlement bio autorise 58 additifs, le conventionnel, 320. Le Synabio, syndicat des entreprises bio agroalimentaires, qui n’entend pas en rester là, travaille sur la définition de l’alimentation bio durable. "Elle repose sur quatre axes, dont la préservation de l’environnement et la biodiversité, et la santé des mangeurs avec une alimentation nutritive, saine et source de plaisir. Il y a des enjeux de préservation de la naturalité, qui induit une limitation de la surtransformation, explique Bernard Lignon, chargé de mission Réglementation et Qualité. Nous souhaitons également sensibiliser la Commission européenne. La partie transformation du règlement bio est limitée comparativement aux exigences agricoles. À nous de l’écrire dans une volonté d’amélioration continue. Remplacer tous les marqueurs d’ultratransformation demande des efforts technologiques, du temps. Tous les progrès déjà faits vont dans le bon sens."
L'humain et l'environnement en jeu
Mais depuis une quinzaine d’années, près de 200 études scientifiques démontrent qu’ils sont responsables d’obésité, de diabète, d’hypertension, de cancers, de dépression, de troubles alimentaires… En 2023, une note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) mettait en cause leur piètre qualité nutritionnelle, leur apport énergétique excessif, leur prix relativement faible qui facilite la surconsommation… avec un impact négatif sur l’environnement. Car des coûts bas requièrent une matière première abondante et de faible qualité, obtenue facilement en agriculture intensive avec des produits chimiques de synthèse délétères pour l’air, les sols, la biodiversité. La généralisation des aliments ultratransformés "a favorisé le développement de groupes agro-industriels gigantesques au détriment des petits producteurs et paysans", écrit Pamela Ebner dans Manger Vrai, la bible de l’alimentation peu transformée, saine et durable (Éd. Thierry Souccar). Ils mettent également en péril les savoir-faire artisanaux et les traditions culinaires, reflet de la culture de nos régions.
Le vrai est dans la matrice
La structure physique d’un aliment, ses fibres, ses nutriments et autres composés forment un tout : la matrice. Ces éléments interagissent entre eux, même une fois ingérés. Mais dès qu’un aliment est transformé, la matrice est détériorée. Ainsi, une pomme entière n’aura pas les mêmes effets sur l’organisme qu’un jus, dépourvu des fibres. Les produits ultra-transformés sont une recombinaison de molécules extraites de leur matrice originelle. Un pain de mie industriel par exemple est composé de farine raffinée à laquelle on ajoute du gluten, des arômes, des émulsifiants, etc. Des ingrédients qui ne proviennent pas de la même matrice et qui ne peuvent pas se comporter comme telle.
Reprendre le contrôle
Consommer des produits ultratransformés peut représenter un risque dès qu’ils dépassent 15 % des apports caloriques journaliers. C’est l’équivalent d’un soda et une barre chocolatée. Oups ! Pour les limiter, il faut les reconnaître. Pas simple. Car les industriels font parfois preuve d’astuces en restaurant "l’image santé que le produit a perdue par l’ultratransformation en réincorporant des nutriments", prévient le docteur en nutrition humaine Anthony Fardet***, de l’Inrae Clermont-Ferrand. Ainsi, les mentions comme "enrichi en…" doivent être considérées avec prudence. Par ailleurs, qui remettrait en cause un ingrédient bon pour la santé ? Les céréales complètes notamment ont leur place dans une bonne alimentation. Mais pour en faire manger aux enfants, on les rend croustillantes et ludiques par un procédé industriel, l’extrusion, qui détruit les nutriments. On les remplace alors par des produits de synthèse, moins assimilables par l’organisme. La vitamine C synthétique par exemple n’a pas "la même forme chirale que la naturelle, ce qui veut dire qu’elles ne sont pas superposables", explique Emmanuelle Joye, chargée de R&D ingrédients et spécifications chez Biocoop.
Mais attention, tous les produits industriels ne sont pas ultra-transformés, et ceux labellisés bio peuvent l’être. Alors, pour s’y retrouver, on scrute les étiquettes. Une longue liste d’ingrédients met sur la piste de l’ultratransformation. S’ils sont purement industriels et qu’on ne peut pas les avoir dans sa cuisine, autant les éviter. On peut aussi se demander si on aurait pu les fabriquer soi-même. Du beurre, de la farine ? Oui. Du sirop de glucose, de la gomme de xanthane ? Non. Donc, on n’en veut pas.
Kelly Frank, fondatrice de Goûm
"Le goût, un levier extraordinaire"
La passion de décortiquer le goût et ses origines lui est venue lorsque, enfant, elle a découvert avec un reblochon l’effet du terroir sur le goût. Aujourd’hui, elle mène une démarche positive pour faire reculer l’ultratransformation. Elle a créé l’agence Goûm pour travailler avec les marques sur le "vrai" goût des aliments. "C’est un levier extraordinaire pour mieux manger", dit-elle. Parmi ses outils, l’allégation Goûm "Ingrédients simples" qui bannit plus de 500 ingrédients ultratransformés et met en avant les produits les moins transformés. Le cahier des charges est en open source pour que le plus grand nombre se l’approprie. Il s’accompagne de données scientifiques sur les produits ultratransformés. Car l’ingénieure en science des aliments croit en la pédagogie. "Plus on cherche à comprendre ce qui fait la qualité d’un produit, plus on l’apprécie." Elle travaille avec toutes les marques qui le souhaitent. Mais ses clients sont surtout des entreprises bio, dont Biocoop. "Elles ont naturellement cette conscience de mieux faire, de faire plus naturel même si ce n’est pas toujours le cas à 100 %", affirme-t-elle.
Goûm, le boom du vrai goût : https://goum.co/
Une seule santé
Mais par quoi remplacer les produits ultratransformés ? Le Programme national nutrition santé (PNNS) de 2019, qui conseille de les réduire de 20 %, recommande de diminuer le sucre, mais aussi les produits animaux, ce qui permettra de consommer moins de sel (charcuterie) et de graisses saturées. Et, parallèlement, d’augmenter les végétaux pour un apport plus important en nutriments essentiels, antioxydants et fibres alimentaires, "protectrices de beaucoup de pathologies", rappelle le nutritionniste et chercheur Denis Lairon. Autre recommandation pour profiter de tous ces bienfaits : varier légumes verts, légumes secs (bons substituts à la viande), fruits à coque, céréales non raffinées (avec fibres et nutriments). Et les choisir bio pour éviter une forte exposition aux pesticides de synthèse et pour avoir un impact sur l’environnement, comme avec la réduction des produits d’élevage, responsables de 80 % des gaz à effet de serre (GES) de l’alimentation.
Penser santé humaine en même temps que celle de la planète est le principe de One Health (une seule santé), une approche reconnue par l’OMS. "Enfin, la communauté scientifique s’accorde pour associer les deux. C’est un tournant fondamental !", se réjouit Denis Lairon. L’étude Bio Nutrinet, à laquelle il participe et qui suit plus de 50 000 consommateurs depuis 2014, lui donne raison. "On observe qu’une alimentation à 60 % bio réduit de 31 % le risque d’être obèse", dit-il, poursuivant sur le risque de maladies cardiovasculaires ou encore de certains cancers notablement réduit. Et il note que les plus petits consommateurs de produits animaux émettent 5,5 fois moins de GES liés à l’alimentation que ceux qui en consomment le plus. Ces informations scientifiques sont bien peu diffusées face au flot de publicités pour des produits alimentaires nocifs en tous points. "Comment voulez-vous que les gens ne soient pas influencés", se désole l’expert. La note de l’OPECST qui appelait à "la mise en place de premières actions préventives de santé publique" autour de l’ultratransformation ne semble pas, à ce jour, avoir été suivie d’effet. Les pouvoirs publics n’auraient pas le goût du "vrai" goût ? Plus nous serons nombreux à avoir une assiette de qualité, plus elle pourrait, tel un bulletin de vote, les encourager à agir.
Christian Rémésy, chercheur-paysan
"Sauvons notre alimentation"
Il est à l’origine du slogan "Mangez 5 fruits et légumes par jour". Une allégation qui ne suffit plus pour encourager une bonne alimentation parce qu’elle a été mise sous des "publicités pour la malbouffe, dit-il. Ça a brouillé le message". Alors, avec son dernier ouvrage, cet ex-directeur de recherche en nutrition humaine à l’Inrae souhaite nous mettre sur la voie "la plus simple et la plus sûre" pour reprendre en main notre alimentation dans le cadre général de la transition écologique. Cela passe notamment par ce qu’il appelle l’assiette citoyenne. "On ne mange pas que pour soi, explique-t-il. Par la façon dont on mange, on engage les autres : les agriculteurs, les transformateurs, l’environnement…". À méditer au moment de faire ses courses ou de passer à table.
Sauvons notre alimentation, Christian Rémésy, Éd. Thierry Souccar.
ÇA C'EST BIOCOOP
- Nutrition et naturalité. Parce qu’ils n’ont pas parcouru la planète et que leur croissance est naturelle, les fruits et légumes frais, locaux et de saison proposés par Biocoop sont riches en vitamines et minéraux, et n’ont pas besoin d’être supplémentés avec des ingrédients de synthèse. En rayons également, des céréales complètes et des légumineuses pour une alimentation diversifiée correspondant aux recommandations nutritionnelles officielles.
- Recettes. Dans sa chasse à l’ultra-transformation, Biocoop bannit de nombreux ingrédients des recettes de sa marque. Les derniers en date : la pectine des confitures et les arômes, remplacés, après deux ans de travail, par des extraits qui sont de simples infusions de la source aromatique dans de l’alcool.
- Simples. Près de 95 % des produits Biocoop sont conformes à l’allégation "Ingrédients simples" (voir "Le goût, un levier extraordinaire" p. 33). Avec ses projets, d’ici 2028, de pain de mie, de boissons pétillantes ou de lasagnes bio et non ultra-transformés, Biocoop va encore faire grimper ce pourcentage.
- Dégustations. Pour découvrir de nouveaux goûts et leurs coulisses, allez rencontrer les fournisseurs locaux invités dans les magasins du réseau, discutez avec les équipes.
*Baromètre des produits biologiques en France, Obsoco, 2024.
**Saveur provoquée notamment par la présence des acides aminés, tel le glutamate, présent naturellement dans les tomates séchées par exemple.
***https://theconversation.com/aliments-ultra-transformes-comment-ils-modelent-notre-agriculture-223881